Journal (archives) - Claude Lavoie Photo

Bavardage photographique

Bavardage photographique (image non disponible)

Jeudi 2012-06-21 :

Une visite inattendue, ce matin : pendant que je prends le café à une terrasse, au milieu des gratte-ciel du quartier des affaires, une luciole se pose sur le rebord de ma tasse.

Elle abonde tout l'été en notre contrée; on la reconnaît à ses ailes courtes et son vol pataud, le corps bien à la verticale, comme si elle peinait à soulever son lourd postérieur. Discrète, on la remarque peu, sauf à la saison des amours, au solstice d'été, quand pour signaler sa présence à ses congénères et séduire des partenaires potentiels, son abdomen s'allume comme une petite lanterne (est-ce cela, « se consumer d'amour »?). Quel féerie, dans la forêt, à la nuit tombée : c'est comme si les étoiles étaients descendues du ciel pour venir danser entre les troncs sombres des arbres un ballet de petits points lumineux.

Mais voilà : c'est en forêt qu'on la trouve habituellement; pas parmi les tours d'acier et le bitume! Comment se sent-elle ici? Complètement perdue ou tout à fait chez elle?

Vendredi 2012-05-04 :

J'ai une idée de thème pour un portfolio : Dames au sortir du lit. Des images exhalant la légèreté et l'énergie que l'on ressent en se levant, un jour de vacances, après une bonne nuit de sommeil, avec tout le temps du monde devant soi pour ne rien faire.

Le thème, évoquant le confort et l'intimité du foyer, est propice à l'exploration des contrastes. La chevelure par exemple : elle peut être rebelle, défaite et en bataille, aplatie sur la tête par l'oreiller ou, fière et soucieuse de son apparence, occupée déjà à se mettre en forme à grand renfort de rouleaux et épingles; et puis les vêtements : la gamme entière, de la décontractée et pelucheuse ratine, en passant par la chemise de nuit de banale flanellette, jusqu'au vaporeux négligé translucide, dont les ouvertures révélatrices laissent pantois; sans mentionner les chaussures : des presque sphériques mules qui confèrent à la démarche l'élégance d'un ours, aux aristocratiques sandales au talon fin qui effilent la cheville et découvrent le bout du pied; et évidemment le maquillage : d'inexistant à élaboré. Avec la panoplie de toutes les humeurs matinales possibles, de la moue boudeuse à la conversation rieuse et au sourire béat. Une infinité de variantes parmi lesquelles choisir.

La séance aurait lieu dans un studio complètement noir, pour que l'attention se centre entièrement sur le modèle, et durerait toute une journée pendant laquelle les modèles se succéderaient. Et comme il sied à toute oeuvre créatrice inspirée, elle serait complètement improvisée et ponctuée de grands éclats de rire.

Le clin d'oeil de la moitié féminine du monde, candide et insouciante dans la gloire du matin, une tasse de café brûlant dans une main, une pâtisserie danoise dans l'autre.

Dimanche 2012-04-01 :

C'est aujourd'hui le dernier jour d'une semaine de vacances; le travail reprendra demain. Si je devais en dresser le bilan, j'écrirais : « Un peu de tout, beaucoup de rien ».

Je prévoyais la consacrer à des travaux ménagers que, faute de temps, je remets depuis toujours; j'escomptais aussi passer plusieurs heures en chambre noire. Mais j'ai dû, ici et là, consacrer une heure ou deux au travail; et puis j'ai fait la grasse matinée, certains matins, pour flâner ensuite longuement, assis à la table de la cuisine, devant un café, à regarder béatement par la fenêtre, le menton dans la main. Que d'agréables moments j'y ai passés!

Aujourd'hui, je me sentais un peu coupable du peu accompli et du plaisir ressenti à paresser. M'est alors revenue en tête une phrase lue, il y a longtemps, chez Pierre Foglia : « Le temps gagné fait le progrès; le temps perdu les civilisations ». Je l'ai dite deux fois, à voix basse, pour moi-même, et me suis immédiatement senti apaisé.

Et j'ai décidé de prendre à nouveau une semaine de vacances, à la même période l'an prochain, pour faire exactement la même chose.

Dimanche 2012-03-11 :

Assis dans l'escalier qui conduit à l'entrée du studio de danse, je regarde par la fenêtre, après une séance de prise de vues qui a duré plus de six heures : le premier modèle ne s'est pas présentée, n'a pas daigné appeler pour avertir, n'a pas répondu à mes appels quand il fût évident qu'elle retardait. Heureusement, les deux autres ont été généreuses de leur temps et de leur enthousiasme.

Après une séance, je suis souvent déçu. En raison de la fatigue, sans doute : s'efforcer patiemment pendant des heures de faire se matérialiser les images idéales qui peuplent votre pensée apporte la fatigue, sinon carrément le doute. Et je suis aussi inquiet : une vague crainte que quelque chose ait cloché, qu'en raison d'un indécelable problème technique tous ces rouleaux de pellicule aient incorrectement été exposés, que tous les efforts et le temps investis ne fussent que pure perte. Voilà comment je me sens en ce moment. Mais les années m'ont enseigné que ces appréhensions feront place au soulagement et à l'exultation dans quelques jours, quand je pourrai enfin examiner les rouleaux tout juste sortis des cuves de développement.

Aujourd'hui, la cause de ma tristesse est tout autre : quand je suis arrivé avec tout le matériel, ce matin, Guylaine procédait au nettoyage hebdomadaire des lieux, comme chaque dimanche. Nous ne nous croisons que rarement; nous communiquons par courrier électronique pour les réservations et, en quittant, je glisse à son intention sous un meuble l'enveloppe contenant l'appoint de la location, une cachette dont nous avons convenu il y a longtemps. Elle m'a alors annoncé que le studio fermerait en juin prochain. Elle ne peut supporter l'augmentation de loyer exigée et ne renouvellera pas le bail.

Je loue son studio de danse pour la photographie depuis plus d'une décennie. L'endroit est idéal : il est toujours propre et bien rangé; son intérieur tout noir, bien qu'austère, met en évidence le modèle; tout y est silence, le dimanche matin, quand l'édifice est désert; il est un peu surchauffé en hiver, un indéniable avantage pour la photographie de nu; et le coût de la location est bas. En un mot, un endroit douillet, apprécié également des modèles et du photographe.

Les premières années, je louais à raison d'une soirée par semaine. Le cycle des séances était effréné : recrutement des modèles; montage des arrière-plans, supports, acccessoires, projecteurs et tout le tralala avant le début la séance; trois heures de prise de vues; démontage et rangement de tout le matériel dans le grand coffre à verrou qui demeure en permanence sur les lieux; développement des rouleaux de pellicule exposée; impression de deux ensembles de planches contacts (un pour le modèle, un pour moi); tirage en chambre noire des images choisies par le modèle; classement des négatifs et tirages . . . juste à temps pour recruter un autre modèle pour la prochaine séance.

C'était épuisant mais j'ai beaucoup appris, tout en amassant un corpus considérable. Après quelques années frénétiques, j'ai diminué progressivement la cadence jusqu'à une séance par mois, le dimanche matin. Je conserve depuis ce rythme plus confortable.

Au fil des ans, je ressentais parfois une impression de répétition et craignais alors avoir épuisé toute l'inspiration du lieu. Mais à ces courts épisodes de doute succédaient des regains d'énergie créatrice, ainsi que la certitude d'avoir encore beaucoup à y apprendre. Mais aujourd'hui, la décision ne m'appartient plus : je devrai continuer ailleurs.

J'apprécie en été la photo extérieure pour la qualité de l'éclairage (rien ne rivalise avec la lumière du jour), la variété des décors disponibles (des espaces publics jusqu'aux bâtiments industriels abandonnés), la vibrante vitalité de la ville. Mais l'hiver il faut pouvoir disposer d'un espace intérieur; et les bons studios photo sont rares et chers.

Je ne sais pas encore ce qu'il adviendra; pour l'instant, j'encaisse la nouvelle. Mais je suis confiant : je vais rebondir. Avant de s'avérer positif, le changement dérange d'abord toujours un peu. La nécessité me poussera en avant, vers des opportunités prometteuses et, ultimement, des découvertes stimulantes.

Mardi 2012-02-14 :

Malgré -12 degrés Celsius et un mètre de neige au sol, il fait un soleil radieux. La neige, que la lumière rend éblouissante, contraste joliment sur le fond bleu d'un ciel sans nuages.

Le creux de l'hiver serait-on tenté de dire; ce serait inexact. Quoique rien n'y paraisse, le creux est loin derrière; les jours ont déjà passablement rallongé et le soleil sensiblement gagné en force. L'hiver agonise; le triomphe de la chaleur est proche. Tous les signes sont là : ce sera bientôt le printemps.

Les cardinaux rouges le savent. Si excités qu'ils en oublient le froid, ils se perchent dès les premières lueurs de l'aube sur les plus hautes branches des arbres dénudés, où leur plumage s'embrasera sous le feu des premiers rayons du soleil. Infatigables, ils s'égosilleront des semaines durant, de l'aube au crépuscule, autant pour faire connaître aux autres mâles les limites du territoire sur lequel ils entendent régner, que pour inviter les femelles, plus discrètes, à devenir leur compagne pendant l'été qui vient.

Écarlates d'amour, ils sont nombreux à chanter ce matin; pour eux comme pour nous humains, c'est aujourd'hui jour spécial, jour de la célébration de l'amour : c'est la Saint-Valentin.

Dimanche 2012-01-22 :

Je rêve d'une longue séance photo avec une modèle patiente, dans une grande maison vide et silencieuse dont les hautes fenêtres laisseraient entrer une douce et complice lumière d'automne.

Que le strict nécessaire : quelques meubles sur lesquels elle s'appuierait ou, si l'inspiration lui en venait, s'allongerait; un ou deux grands cartons blancs en guise de réflecteurs.

Une séance fluide, rythmée par le seul cliquetis de l'obturateur, au cours de laquelle les poses se succéderaient avec aisance et spontanéité.

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