Journal (archives) - Claude Lavoie Photo

Bavardage photographique

Bavardage photographique (image non disponible)

Mercredi 2011-12-21 :

La vie est rarement aussi parfaite qu'en chambre noire.

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Notre société moderne : dépendante aux télécommunications, malade de solitude.

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Tous ces choix que j'ai faits, sans même m'en rendre compte!

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Nuit courte, sommeil agité; matin pâteux à la langue épaisse. Les lendemains d'alcool, qui nous font le cerveau mou et le coeur tendre.

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Pour croire encore au triomphe de la logique, il faut n'avoir jamais eu à s'entendre avec l'autre parent sur l'éducation des enfants.

Dimanche 2011-11-27 :

Il est 14 h 45. Les phares allumés des voitures percent le demi-jour.

Il fait inhabituellement doux pour la saison; les nuages sont opaques et l'air, lourd comme l'effort, saturé d'humidité. Partout flotte une langueur propice à la rêverie : novembre nous suggère d'accorder notre pas à celui de la nature, nous soufflant à l'oreille que nous aussi méritons bien un peu de repos.

Novembre qu'on n'écoute pas, au travers duquel on patauge avec entêtement, pour finalement en émerger à peu près indemne, sans se soucier d'en conserver le souvenir. C'est que décembre, avec son ciel bleu et sa neige brillante comme un miroir, est tout proche. Rien qu'à y penser, on sourit déjà . . . et hâte le pas.

Dédé avait raison : « Dehors novembre! » C'est en novembre qu'on se sent le plus fatigué, mais c'est en décembre qu'on s'accorde un peu de temps pour le repos et la fête.

Vendredi 2011-10-14 :

D'aucuns pratiquent la compassion; je pratique la photographie. Ils soulagent le monde d'une partie de sa souffrance; je soulage le monde d'une partie de sa beauté. Beauté qui abonde, sous le poids de laquelle son échine ploie, mais que tant négligent.

À chaque pas dans la rue, où que le regard se pose, chez quiconque avec qui on parle : un trésor mésestimé, semblable à celui jeté sur la plage d'une île déserte par le hasard des courants marins et auquel on n'ose croire, même quand on y plonge le bras jusqu'au coude.

Je m'exerce à voir et reconnaître partout cette beauté; je m'arrête, la photographie, et repars, l'emportant sur la pellicule.

Samedi 2011-09-24 :

Nous sommes rentrés à l'appartement après minuit, encore étourdis par l'animation nocturne du circuit touristique un peu cliché de Rome : la fontaine de Trevi, la Piazza di Spagna, . . . Comme ma bien-aimée se sentait fiévreuse, je versai deux verres de chianti de la bouteille achetée l'après-midi, l'installai confortablement sur le divan, et préparai à la hâte des pâtes.

La nuit était avancée quand nous gagnâmes le lit; elle s'endormit de suite. Je me retournais sans cesse à ses côtés, trop excité par le vin et la rumeur de la Ville Éternelle.

Quand sa respiration eût la régularité du sommeil profond je me relevai, ouvris grand la fenêtre, puis retournai m'étendre. Et comme le bruit rassurant qui montait de la rue, les paroles d'une chanson qui a bercé mon adolescence refirent surface :

Il est minuit j'écoute ma ville qui dort,
Qui respire fort dans son sommeil si agité
De grande cité . . .
Moi dans mon lit, j'entends la pluie dehors,
J'attends le sommeil, comme on attend
Un vieil ami souvent en retard . . .

© Beau Dommage, 1975

Lundi 2011-08-22 :

Il y a quelques années, en repassant la chemise que je porterais ce jour-là, je remarquai, posé sur le plancher, un élégant papillon noir de grande taille. Je m'approchai lentement, projetant le cueillir tout doucement entre mes deux mains jointes, lui ménageant entre mes paumes assez d'espace pour ne pas l'écraser, puis le raccompagner dehors. Quand je l'effleurai d'un de mes doigts il se renversa sur le côté où il demeura, inerte. Enfermé depuis quelque temps déjà, il avait dû se résigner à mourir de faim.

Depuis ce jour, pour éviter que la situation ne se répète, je n'ouvre plus que brièvement la porte de la maison, lorsque j'y entre ou en sors, et je secoue vigoureusement le linge mis à sécher dehors, avant de le rentrer, pour déloger les insectes qui s'y seraient posés et que je rapporterais autrement à l'intérieur.

Pourtant, hier soir, en rentrant le linge dûment secoué, deux insectes se sont retrouvés à partager, bien à contrecoeur, mon logis : une grande phalène gracile, au vol lent et léger, et un gros papillon velu et trapu, aux battements d'ailes frénétiques et sonores.

Mes tentatives pour les attraper furent vaines; à mon approche, les bêtes affolées s'envolaient à l'autre bout de la pièce. Elles finirent par se dissimuler et je ne les retrouvai plus.

J'allai au lit inquiet : je quitterais le lendemain pour aller travailler pendant quelques jours à l'extérieur de la ville, et je craignais que mes invités ne fussent condamnés au même sort que le grand papillon noir. Quelle horreur, même à cette petite taille, de mourir de faim dans le silence froid d'un lieu hostile.

En me levant ce matin, je trouvai, posé sur ma commode et engourdi par la faim, le gros papillon velu. J'eus tôt fait de le recueillir entre mes deux mains et de le relâcher dans la cour arrière. Puis, au tout dernier moment avant de sortir, comme je me penchais pour empoigner mon bagage, la grande phalène s'en envola pour se poser sur une chaise toute proche. Elle était bien vivante mais affaiblie déjà; la capturer fut un jeu d'enfant. Dehors, lorsque j'ouvris les mains, elle vola vers les branches de l'arbuste qui flanque la porte d'entrée.

Et maintenant, dans l'autobus qui m'amène au centre ville, j'ai le coeur léger à la pensée que mes deux volatiles font bombance, ayant déjà oublié leur nuit de jeûne et le péril encouru.

Mardi 2011-07-19 :

Dans mes plus folles fantaisies, je n'aurais jamais à demander à quiconque de poser pour moi. Des dames gracieuses, après avoir visité mon site ou vu les photos que j'aurais prises d'une de leurs amies, requerraient instamment de moi la faveur d'une séance.

Et moi, distant et ennuyé, je n'accorderais ce privilège qu'à quelques chanceuses, les plus inspirantes, renvoyant du revers de la main les autres à leur déception.

Surtout ne dites rien : vous pourriez me réveiller et me forcer à revenir à la réalité.

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