Bavardage photographique
Vendredi 2007-12-14 :
Je remontais laborieusement la côte du quartier chinois, enfonçant jusqu'aux chevilles dans la neige lourde qui recouvrait le trottoir glacé, n'y posant le pied qu'avec précaution, alors qu'elle descendait prestement, comme si elle volait au-dessus de la perfide surface sur laquelle je me démenais.
Je relevai les yeux juste à temps pour saisir une image d'elle : enveloppée dans son manteau de laine noir, un foulard de tartan flottant dans son sillage, le regard brillant dirigé droit devant, elle souriait avec ravissement.
Elle me croisa sans me voir. Quelle agréable pensée pouvait donc lui procurer tant de bonheur?
Mercredi 2007-11-28 :
J'ai multiplié les heures de travail récemment, et n'ai pas écrit un seul mot depuis six semaines. Je prends donc congé aujourd'hui, sans autre but que d'employer ce temps dérobé à la rêverie vagabonde, beaucoup plus fructueuse, à terme, que l'accomplissement de tâches démesurées.
Me voici donc assis dans un de mes cafés préférés, stylo en main, cahier ouvert, attendant que le filet de mots se remette à couler . . . mais il ne vient pas. Je pourrais jeter le blâme sur la trop longue interruption, mais je soupçonne la cause véritable d'être tout autre.
En cette période de l'année, le mercure a plongé sous le point de congélation. Je suis donc attablé à l'intérieur de l'établissement à supporter, sur un fond de sirupeuses reprises de classiques du jazz, les discussions entre trois étudiants d'une table voisine qui rédigent à la dernière minute un travail de comptabilité (elle semble pour de bon révolue l'époque où les étudiants se rencontraient dans les cafés pour débattre d'art et refaire le monde).
Je préfère de beaucoup être assis sur la terrasse extérieure, pendant l'été, pour y profiter de la chaude brise et du soleil brûlant, en appréciant l'élégance des passantes; même le bruit de la circulation et l'odeur des gaz d'échappement des voitures y sont plus vivifiants que cette atmosphère rance à l'intérieur des portes closes.
Surtout tenir bon. L'été sera de retour dans six mois.
Lundi 2007-10-15 :
Depuis la rentrée des classes, je l'ai rencontrée à quelques reprises, le matin à l'arrêt d'autobus. Elle n'a pas la réserve (ou l'indifférence!) habituelle des jeunes adultes envers leurs aînés. Elle aime converser.
Elle est nouvellement inscrite au programme d'arts créatifs d'un collège. Elle le mentionne avec désinvolture, assumant, comme tous les jeunes gens choyés, que la vie ne pourra jamais être que généreuse et bienveillante à leur égard.
Les scientifiques d'une époque révolue ont, par inexpérience, par manque d'outils précis et faute de mieux connaître, cru à la génération spontanée. Pour des raisons analogues, elle croit au bonheur spontané.
Samedi 2007-10-13 :
Séance avec Sophie. La première après un hiatus de presque deux ans. Comme toujours, elle pose avec aisance et talent. Il me tarde de voir les photos.
Et mon bonheur a été double : comme nous sommes retournés ensemble, j'ai eu le plaisir d'une longue conversation avec elle. Sur tout et sur rien. Elle a quitté un travail qu'elle n'appréciait plus pour se consacrer entièrement à la scène; et après quelques mois seulement, elle connaît déjà quelque succès.
Elle m'a paru plus enjouée et cordiale qu'avant.
Mardi 2007-09-25 :
Pour me rendre au travail, les matins suivant une nuit passée chez ma fiancée, j'emprunte de chez elle jusqu'à la station de métro tout proche un trajet de petites rues tranquilles. En m'engageant dans celle qui longe la cour de l'école primaire Saint-Gérard, je ralentis le pas.
J'y passe un peu avant que la cloche de huit heures ne commande l'entrée des élèves. Le trottoir grouille alors de parents venus reconduire les petits. Ils marchent en se tenant la main, adaptant leur rythme aux pas des courtes jambes, profitant de ce moment privilégié pour faire un brin de causette ou passer en revue les consignes de prudence et de bonne conduite. Plusieurs enfants portent des sacs à dos, aux couleurs vives ou à l'effigie de personnages de contes télévisés, trop grands pour leurs épaules menues.
À la barrière de la cour, ils se séparent. Les plus vieux élèves courent rejoindre leurs amis; les plus jeunes s'attardent, certains versant même une larme avant de se résigner à pénétrer seuls dans l'enceinte. Les parents, parmi lesquels les mamans sont plus nombreuses que les papas, demeurent sur le trottoir, à suivre leurs chéris des yeux à travers les mailles du grillage, un sourire attendri mais un peu inquiet sur les lèvres.
Au son de la cloche, les jeux s'arrêtent et on forme le rang. Puis c'est la parade des petits souliers neufs achetés exprès pour la rentrée : les classes gravissent dans l'ordre le grand escalier et disparaissent à l'intérieur du vieux bâtiment.
Les parents rassurés abandonnent alors leur poste d'observation pour aller vers leur quotidien. Ils repasseront à la fin de l'après-midi pour ramener les enfants fatigués à la maison.
Samedi 2007-09-22 :
Pendant toutes ces années passées ensemble, j'ai admiré son amour pour ses deux fils.
Elle a souvent répété qu'ils sont le centre de sa vie, et ses gestes se sont accordés à ces paroles. Infailliblement. Non par devoir, mais par amour véritable, elle a centré sur eux sa vie et son quotidien. Et quoiqu'ils soient devenus assez autonomes pour décider de larges pans de leur vie, ils demeurent sa première pensée et son sujet préféré de conversation.
Nous sommes depuis quelques jours en vacances, seuls dans un parc que les estivants ont déserté. Les garçons, assez vieux maintenant pour prendre soin d'eux-mêmes pendant une semaine, sont demeurés à la maison; nous leur téléphonons tout de même chaque jour. Temps exceptionnellement chaud et ensoleillé pour un début d'automne. Un avant-goût de la retraite qui approche.
Au réveil, ce matin, elle m'a raconté le rêve dont elle émergeait tout juste : un bébé lui était né. Un garçon encore, à la chevelure blonde, drue et courte, qui la regardait fixement avec de grands yeux joyeux quand elle le soulevait du berceau pour le prendre dans ses bras.
Égale à elle-même.
Mercredi 2007-09-12 :
Il y a des jours où je condamnerais, péremptoirement et sans appel, l'humanité entière à l'oubli indifférent (l'anéantissement étant un sort dont je la juge alors indigne), si seulement je n'en faisais pas partie!
Vendredi 2007-08-31 :
En revenant du travail, je descends souvent du métro à la station Mont-Royal, longe l'active rue Saint-Denis, et remonte dans le train à la station Sherbrooke. Selon mon humeur et le temps qu'il fait, je visite les bouquineries, sirote un café à une terrasse, ou m'immerge tout simplement dans l'activité de la rue.
Ce faisant aujourd'hui, je remarquai au coin de la rue Rachel un nouveau café à la décoration intérieure particulièrement réussie : plancher de bois noble foncé, murs vert pâle aux pans entiers couverts de tableaux. Les sièges sont de formes diverses : de profonds divans à haut dossier formant alcôve le long des murs et dans les coins, des tabourets près des accoudoirs surélevés bordant les grandes fenêtres. Ambiance chaleureuse et vaguement victorienne (les peintures, peut-être); le lieu idéal pour une séance photo.
La place grouille de clients qui discutent, lisent ou travaillent sur des ordinateurs portatifs; des étudiants ou travailleurs autonomes pour la plupart.
Je passe régulièrement devant cette porte depuis des années. Pendant longtemps, les lieux ont été en rénovation, sans progrès apparent. Le cafetier me dit aujourd'hui que la maison est ouverte depuis presqu'un an; comment ai-je pu ne rien remarquer?
Pour cette première visite, je choisis la table sise en face des tableaux; trente d'entre eux environ, de tous genres et tailles, accrochés en groupe serré à bonne hauteur sur le mur. Je peux d'ici les apprécier à l'aise, individuellement ou dans leur ensemble. Je pose donc mon cahier sur la table et laisse mon regard aller d'un tableau à l'autre, les parcourant à la suite ou au hasard, s'arrêtant à son gré pour examiner aussi bien la facture des cadres que celle des toiles.
Ce n'est qu'après quelques minutes que je remarque, assise à la table située juste sous les tableaux, en compagnie d'une homme que je présume être son amoureux, une femme ravissante.
Elle porte une robe de coton léger, dénudant des épaules sur lesquelles tombent les boucles de sa chevelure foncée. Ses pieds sont chaussés de fins escarpins. Tout en conversant, elle les incline vers l'arrière et, les orteils relevés, les fait pivoter sur la pointe du talon d'un côté puis de l'autre, de sorte qu'il m'est possible d'apercevoir la fleur gravée sous la semelle; de temps à autre, elle retire son pied et le pose sur la chaussure renversée, exhibant l'impeccable vernis carmin qui recouvre ses ongles.
Mon esprit, jusque-là absorbé par la beauté des toiles, ne s'intéresse maintenant plus qu'à la sienne. Indifférent à ce qui l'entoure, il refuse de coopérer à l'écriture de cette page. Mon regard revient vers elle sitôt détourné, et je crains qu'elle ne le remarque.
Sait-elle l'émoi que son envoûtante beauté sème autour?
Mercredi 2007-08-29 :
Plus que quelques jours avant septembre, l'antichambre de l'automne. Hier et aujourd'hui ont été des journées chaudes et, en ville, on croit encore en l'été. Mais tout va changer; tout change même déjà. Les signes avant-coureurs sont partout : les jours sont plus courts, les matinées plus fraîches, le vert des feuilles moins vif. Et ce déclin encore imperceptible deviendra bientôt dégringolade vers un autre hiver froid et sombre.
Las de me retourner dans mon lit, je me relève pour tenter de traduire en mots l'inconfort qui me dénie le repos. Il se laisse enfin saisir : je conçois malaisément que la saison ait l'éclat défraîchi d'un bal qui s'achève, alors que la beauté intacte des femmes exhale encore les capiteux effluves d'une floraison prometteuse.
Dimanche 2007-08-12 :
Chaque été, à l'instar de légions de touristes en vacances, nous prenons la route qui longe la rive sud du fleuve Saint-Laurent, en aval de la ville de Québec, jusqu'en péninsule de Gaspésie. Nous nous mettons en route tôt le matin, nous arrêtant pour déjeuner dans le village où est née ma belle-mère, et qu'elle a quitté pour Montréal il y a plus de soixante ans. Ce n'est qu'une grappe de petites maisons de bois blanches, plantées de part et d'autre d'un torrent qui cascade jusqu'à la grève en contrebas, surplombant une baie pittoresque constellée d'ilôts rocheux sur lesquels des épinettes rabougries se serrent en bosquets pour se protéger des assauts du vent du large. Partout, l'air salin embaume.
Cette année, après avoir observé du haut du quai les canards plongeurs se goinfrer du poisson abondant de la marée montante, nous nous sommes rendus à la galerie d'art du village, aux murs couverts de tableaux du paysage environnant en toutes saisons et d'impressionnants grands-angulaires de nuages. Une huile sur toile de la baie et ses îles à marée basse, aux couleurs denses et vives, attira notre attention.
Mais quelque chose clochait dans l'assemblage du cadre; il fallait en refaire le montage. Comme elle ne savait comment s'y prendre sans risquer d'endommager la toile, la préposée décida d'en référer au galeriste, le peintre de l'oeuvre lui-même; heureusement, il était à l'étage. Elle gravit l'escalier; des bribes de conversations lointaines nous parvinrent, puis elle réapparut, nous remerciant de notre patience.
Plusieurs minutes s'écoulèrent. Quand l'artiste arriva, nous nous excusâmes d'interrompre son travail et de l'obliger à quitter son studio. "Aucunement", nous rassura-t-il : plutôt que de peindre, il regardait les courses automobiles à la télévision. Et comme il n'en voulait rien manquer, il avait pris soin de mettre en marche un appareil enregistreur avant de descendre. N'étant pas familier avec son maniement, il avait tâtonné un peu, d'où le délai; mais tout fonctionnait bien maintenant. À quoi pouvait-il nous être utile?
Je me demandai si la satisfaction que révélait son large sourire était attribuable à la perspective de la vente d'une de ses oeuvres ou à son récent exploit technologique. Ainsi va le pittoresque.
Samedi 2007-07-28 :
J'ai conduit ce matin ma fiancée et son benjamin à l'aéroport. Pendant qu'ils se la coulent douce sur les plages tropicales, je vais passer la prochaine semaine seul avec Frisson le chat, maître paresseux de la maisonnnée. Sentiments contradictoires de liberté insouciante et d'ennui pressenti.
Au retour (leur avion décollait au point du jour), je me suis remis au lit jusqu'à la fin de l'avant-midi. Puis, reportant à plus tard les travaux domestiques dont le temps clément aurait permis l'exécution, je me suis dirigé vers la rue Saint-Denis, pour y profiter tout à loisir du spectacle de la rue.
Café bouillant sous un soleil brûlant et ce cahier avec, en arrière-plan, le plaisir coupable des choses à faire remises au lendemain.
J'ai choisi la table juste en bordure du trottoir, où les jupes des passantes m'effleurent presque. Leur tenue s'est allégée sous l'insistante chaleur des dernières semaines et, dans le sillage de leur distraite demi-nudité, se troublent à la fois l'air humide que leur passage remue et l'esprit du badaud qui les suit des yeux.
La jeunesse et l'été ont en commun, à leur culmination, de paraître éternels.
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Page blanche. Déconcertant, par une journée où la vie est si belle, de ne trouver rien de mémorable à en écrire.
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Sitôt sur le quai du métro, j'ai décroché le combiné d'un téléphone public, pour que le tableau lumineux affiche l'heure. Je l'ai presque heurtée en me retournant. Nos regards se sont rencontrés, elle a souri; jugeant les auspices favorables, je lui ai remis le carton sur lequel est inscrite l'adresse de ce site, l'invitant à le parcourir. Puis nous nous sommes courtoisement et réciproquement salués, avant de continuer notre chemin vers les extrémités opposées de la plate-forme.
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Contrairement à ce que je croyais, en trouvant l'amour je n'ai pas trouvé le calme (mais bon, trouver l'amour n'est déjà pas rien . . .).
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Passer tant de temps à m'expliquer auprès des autres (qui ne l'ont de toute façon jamais demandé et qui n'écoutent pas), trop empressé pour réaliser que je ne cherche en fait à le faire qu'à mes propres yeux.
Un peu de lucidité : mon intérêt pour la photographie est une mise en scène que je me sers, et qui me fournit un prétexte pour redescendre en moi-même. Moi seul suis dupe, me confortant à considérer comme une démarche ce qu'avec l'objectivité de l'humilité je reconnaîtrais comme une simple, quoique plaisante, errance.
Tout ceci n'est qu'un vaste malentendu; voire, puisque j'y ai contribué, une supercherie!
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Je suis le tâcheron de la monotonie prévisible (n'est-ce pas un pléonasme?).
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Expliquer les choses, à défaut de pouvoir, ou même vouloir, les changer : piètre consolation (ou alibi).
Dimanche 2007-07-22 :
"Vous êtes photographe?"
On me pose parfois la question dans la rue ou les transports en commun lorsque, chargé de matériel, je me rends à une séance (la tête pleine d'idées de poses et de détails techniques à considérer) ou en reviens (la tête pleine des moments cueillis et du regret des opportunités ratées).
La question me flatte et, parce qu'elle m'oblige à sonder mes motivations, me rebute un peu.
À mon âge, je ne m'amuse plus guère. La séance photo constitue cependant une heureuse, quoique trop rare, exception : mon esprit s'évade et j'y redeviens l'enfant pour qui le jeu ne requiert d'autre finalité ou justification que le plaisir qu'il procure.
Je m'étonne toujours quand quelqu'un à qui je propose une séance me répond : "Bien sûr!". Je m'étonnais de même, enfant, quand un compagnon de jeu à qui je proposais de devenir amis me répondait : "Bien sûr!". La même réponse, le même bonheur, à quelques décennies d'intervalle.
Convenir d'une séance photo, c'est accepter un défi stimulant mais sans risque, puisqu'on en revient content et enrichi.
Excepté pour quelques personnes qui daignent parfois y jeter un distrait coup d'oeil et, plus rarement, marmonner quelques syllabes d'appréciation, mes photos n'ont d'autre valeur que l'importance, bien subjective, que je leur accorde. Je persiste tout de même à pratiquer la photographie. Je suis donc un peu photographe. En amateur sérieux . . . et ludique.
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Lorsque je me déplace, je n'apporte ni radio, ni quelqu'autre lecteur musical. Rien ne m'obstrue les oreilles.
De plus, hormis quelques tracas mineurs (je ne les énumérerai pas puisqu'ils sont, par définition, triviaux; je vous confierai cependant qu'une invasion de pucerons dans des rosiers chéris me cause quelque souci), mon esprit est libre et tout à fait disposé à vous écouter.
"Vous disiez?"
Jeudi 2007-07-19 :
Dix-sept heures. L'heure de pointe d'une métropole cosmopolite.
Je suis attablé à la terrasse d'un café, à quelques mètres à peine d'une bouche de métro et de l'intersection de deux rues achalandées où s'arrêtent plusieurs circuits d'autobus. Des flots de gens de toutes races et couleurs s'entrecroisent juste devant moi, pressés sur le chemin du retour à la maison.
Sur certains visages, on lit encore l'ennui qui s'y est imprégné tout au long d'une journée passée à un travail mal choisi, et qui persiste encore après la fin du quart; sur d'autres, une sereine et tranquille satisfaction. Beaucoup d'adultes rapportent des victuailles qu'ils prépareront pour des enfants enjoués et impatients.
On dirait un spectacle de fin d'année scolaire : de trop nombreux acteurs s'acquittent sans cohésion de petits rôles qui se résument à une brève apparition : ils se mettent en file sur le bord du trottoir et se tortillent pendant quelques minutes avant d'être emportés par des autobus bleu et blanc, ou ils traversent le décor dans toute sa largeur avant de disparaître inexplicablement. Presque tous sont silencieux et impassibles à la présence de ceux qu'ils croisent.
Après une heure, la masse des figurants se clairsème, les passages des autobus s'espacent. Le spectacle perd en intensité vers la fin.
J'abandonne la demie refroidie de mon café pour rentrer moi aussi, content néanmoins de la représentation de ce soir.
Mardi 2007-07-17 :
À la retraite je projette, comme quiconque y étant récemment parvenu, faire ce que pendant toute ma vie active, faute de temps, j'ai remis à plus tard. Je n'entreprendrai cependant pas de long voyage, ni ne me lancerai dans une ambitieuse entreprise.
Je m'affranchirai de la tyrannie des horloges.
L'hiver, hormis les courses, je ne sortirai de chez moi que pour marcher dans la neige, les jours où elle daignera tomber, ou pour assister à un spectacle de danse. Le soir, je lirai tous ces livres achetés au fil des ans qui, jamais ouverts, s'amoncellent autour de mon lit.
L'été, dès le mitan du jour, j'irai m'asseoir dans le petit parc, sis en bordure du fleuve, devant lequel passe l'autobus qui me ramène chaque soir du travail. Je choisirai le banc placé à l'ombre du grand saule pleureur, d'où on peut regarder l'eau tout en surveillant l'allée la plus achalandée.
Et de là, dans la fraîcheur du jour qui s'éteint et l'odeur montant des herbes du rivage, je m'étonnerai des couleurs changeantes du soleil qui se couche derrière les grues du port, sur la rive opposée. Je regarderai les dames qui déambulent nonchalamment dans l'allée, les plus jeunes poussant doucement devant elles des landaus au fond desquels sommeillent des poupons roses et potelés. J'apprécierai la beauté et l'élégance de toutes, mais saluerai les plus remarquables en touchant du bout des doigts le bord de mon chapeau (un homme élégant ne sort jamais sans chapeau!).
Et peut-être même m'y ferai-je quelques accointances, avec qui j'échangerai des phrases convenues et quotidiennes sur le temps qu'il fait, et la rapidité avec lequel il passe.
Je ne rentrerai chez moi qu'une fois la nuit complètement tombée.
Lundi 2007-07-09 :
Il pleut des cordes. Tout s'arrête, la nature s'offre une journée de langueur. Comme elle, je n'ai ni l'envie ni la force de rien faire. Un temps de rêveur.
Je caresse depuis longtemps certains projets de photo. Pourtant, les pressentant encore trop imprécis ou immatures, plutôt que de les concrétiser, j'ai préféré les garder pour moi, estimant que plus de réflexion leur serait bénéfique.
Mais en ce chaud matin pluvieux s'imposent à moi la rapidité avec laquelle les années filent, et l'inconfortable pressentiment que, faute de temps, plusieurs de ces projets ne verront sans doute jamais le jour.