Journal (archives) - Claude Lavoie Photo

Bavardage photographique

Bavardage photographique (image non disponible)

Mercredi 2007-06-20 :

Printemps pluvieux et sombre, suivi de quelques jours d'une chaleur lourde et humide. La végétation a explosé et, en un rien de temps, a atteint sa maturité. Nous ne sommes pourtant qu'à la mi-juin!

Les oisillons volent déjà et poursuivent en piaillant des parents affolés qui s'épuisent à leur procurer de la nourriture.

La nature ne s'embarrasse pas de longs préambules. Elle s'exécute en silence, avec rapidité et efficacité. Si bien que tout est maintenant en place pour quelques semaines de paresseuse indolence.

Je compte cependant, pour mieux apprécier le beau temps, rehausser le farniente d'un peu de photographie.

La saison chaude se prête particulièrement bien au portrait extérieur : quelques mètres carrés d'un square et un soupçon d'arrière-plan végétal suffisent. Pas d'équipement encombrant, que le minimum : deux boîtiers, quelques lentilles, et un léger goûter que le modèle et moi dégusterons après la séance, assis sur le gazon, l'appétit enhardi par la satisfaction du travail bien fait.

Tout le plaisir d'un pique-nique à la campagne, les moustiques en moins!

Mardi 2007-06-12 :

J'ai fait peu de photo récemment; que quelques séances éparses au cours de l'hiver dernier. Puis l'hiver est devenu été, et tout le monde n'a plus eu la tête qu'aux vacances proches.

Rude tâche de susciter l'enthousiasme pour une activité aussi exigeante que la photo quand le soleil invite à une oisiveté facile. J'ai appelé mes habituelles complices, mais toutes ont poliment décliné. En plus, dans le milieu de la danse, c'est relâche jusqu'à l'automne!

Le temps passe sur les modèles comme il passe sur moi : leurs intérêts changent, plusieurs déménagent, d'autres fondent une famille ou acceptent un emploi trop accaparant.

Mais je ne me décourage pas aussi facilement! Je profite de chaque occasion, dans le cours d'une conversation, pour vanter les plaisirs et bienfaits de la photographie, et proposer des collaborations à des modèles potentiels, dans l'espoir que l'idée leur sourira : "Dites, vous ne disposeriez pas de quelques minutes pour faire des images?"

Je vous prie maintenant de m'excuser. Je dois rentrer prestement à la maison, afin de pouvoir répondre au téléphone si l'une d'elles appelle pour accepter ma proposition.

Lundi 2007-06-11 :

À la terrasse d'un café, rue Saint-Denis. N'ayant pu trouver une table à l'ombre, je suis assis en plein soleil, drapé dans le nuage exhalé par les fumeurs que la réglementation antitabac relègue au pourtour de l'établissement.

Le café de fin d'après-midi, transition bienheureuse entre la frénésie du travail et le calme d'une soirée à la maison. Un temps d'arrêt pour observer combien le monde a changé en une seule journée (sans moi!). Un répit pendant lequel le temps suspendu m'appartient tout entier, pour reprendre mon souffle et rêvasser à l'abri des contingences.

Mardi 2007-05-22 :

Le trajet que j'emprunte pour me rendre au travail et en revenir longe, sur quelques centaines de mètres, la voie ferrée qui traverse d'est en ouest la partie nord de l'île de Montréal. Dans cette zone industrielle, des ponts d'étagement permettent à la voie d'enjamber les rues achalandées; entre ces rues, elle court sur un remblai, à plus de cinq mètres au-dessus du terrain environnant.

Avec le temps, buissons et arbres ont envahi les pentes rocailleuses du remblai, formant de part et d'autre de la voie un ruban de forêt au coeur de la ville. Une petite forêt, certes, mais de taille suffisante pour qu'y séjournent à l'occasion une crécerelle d'Amérique, un grand pic, un moqueur polyglotte et, il va sans dire, d'innombrables marmottes.

Je n'y rencontre pour ainsi dire jamais personne. Or, il y a trois ans, en mai, j'y croisai une fille et deux garçons assis sur un des rails. J'associe généralement la présence de jeunes gens en des lieux isolés à des activités ou consommations illicites. Pourtant, ils ne cherchaient manifestement à cacher ni leur présence, ni leur occupation. Ils étaient simplement assis, recueillis et silencieux.

Je les ai revus les jours suivants. Nous nous saluâmes d'abord; puis nous parlâmes. Je leur demandai ce qui les y amenait. Ils me répondirent qu'un ami avait récemment été happé par un train de marchandises alors qu'il marchait seul sur la voie, dans la nuit. Son corps avait été retrouvé à l'endroit où ils s'asseyaient.

Cette portion de la voie est droite et plane sur plus de deux kilomètres, et les trains la parcourent à vitesse réduite. Quoique possible, un tel accident y semble peu probable et soulève la possibilité d'un geste désespéré. Je posai la question, mais ne reçus pour toute réponse que des regards lourds.

Ils me racontèrent qu'eux quatre étaient proches amis depuis les années d'école, que le compagnon disparu était père d'une fillette de deux ans, qu'il paraissait préoccupé dernièrement . . .

Après quelques semaines je ne les revis plus, mais une petite croix de bois avait été plantée, tout près du rail où ils s'asseyaient. Jour après jour la croix était renversée, soufflée par l'air déplacé au passage des trains qui la touchaient presque; mais jour après jour elle était relevée. Et le cycle se répétait : renversée, puis relevée, puis renversée, puis relevée, . . .

La croix est demeurée invisible pendant tout l'hiver suivant. Tombée, elle était ensevelie sous la neige. Elle réapparut au retour du printemps, plus droite et plus solide, avec une couronne de gros cailloux à sa base. Au début de mai, un an après l'accident, une gerbe de fleurs fut agrafée au croisillon, avec une carte sur laquelle était écrit : "Nous t'aimons et tu nous manques".

Deux autres années ont passé. De son emplacement original près des rails, la croix de bois a été déplacée à mi-remblai, là où la pente rocailleuse s'adoucit en un petit plateau de quelques mètres de largeur, entouré de buissons et d'arbrisseaux, un endroit paisible au milieu de la rumeur de la ville. Elle est maintenant flanquée par une croix d'aluminium plus grande, aussi éclatante au soleil que la jeunesse qu'elle commémore.

Sur cette dernière a été collée la photographie d'un jeune homme à l'abondante chevelure noire bouclée. Il est costaud, ses yeux brillent, et il a le sourire de la jeunesse, un sourire qui fait confiance à la vie et l'apprécie. Sous la photo, une inscription : "F . . . G . . ., décédé accidentellement le 2 mai 2004, à l'âge de 27 ans".

Je passe près de la croix presque chaque jour, et de temps à autre dévie de mon chemin pour marcher jusqu'à elle. Je l'ai fait aujourd'hui, à peine trois ans après l'accident. Le petit sentier est facile à repérer et, quoique discrètement tracé, témoigne néanmoins du passage du visiteur occasionnel. La croix brillait au soleil, des fleurs fraîchement coupées joliment disposées à son pied.

J'ai touché le métal et me suis demandé, comme je le fais chaque fois, pourquoi faut-il parfois que la vie cesse à un âge auquel tous les rêves sont permis et tous les espoirs possibles. Je ne le saurai évidemment jamais, comme je ne connaîtrai jamais le disparu. Mais la perte de si favorables auspices me chagrine profondément.

Vendredi 2007-04-27 :

Vendredi, 18 h, dans le métro qui me ramène chez moi.

Monte une femme de trente-cinq ans environ, modestement vêtue. Des mèches s'échappent du noeud qui retient ses cheveux. Elle porte un gros sac duquel dépasse le bout arrondi d'une baguette. Deux gamins enjoués la suivent en se poussant du coude.

Elle se laisse tomber sur la banquette double voisine de la mienne en poussant un soupir. Le plus grand des garçons s'assied à son côté. Le plus petit grimpe sur ses genoux et s'y installe sans ménagement. Elle passe ses bras autour de sa taillle et enfouit son nez dans ses cheveux.

Puis les gamins inventorient, du regard et des mains, le contenu du sac de victuailles, le commentant avec animation. Elle sourit et leur répond dans une langue que je ne connais pas.

Une ouvrière, je présume, qui, sa journée de travail terminée, a récupéré ses rejetons au sortir de l'école ou de la garderie. Ils rentrent à la maison, heureux de se retrouver, tout entiers à la joie anticipée de passer les deux prochains jours ensemble.

Samedi 2007-04-07 :

Courte liste de petits deuils personnels :

À suivre . . .

Dimanche 2007-03-25 :

Le dimanche, je vais en chambre noire.

Auparavant, mes séjours y duraient trois ou quatre heures. Je travaillais avec empressement, dans le but d'y accomplir plus, estimant sommairement les ajustements requis, combinant plusieurs changements d'une épreuve à la suivante. À la fin de cette période, j'avais généralement tiré deux clichés, trois avec un peu de chance.

Au cours du travail sur une image, j'en restais complètement séparé. La cadence accélérée m'empêchait de savourer le plaisir associé à l'activité.

J'ai donc changé mon approche. Le tirage, plutôt qu'une destination à atteindre, est devenu un parcours à apprécier; le cliché s'est vu promu du rang de simple matière première au statut de mentor à écouter et de qui apprendre.

Je réserve maintenant tout le dimanche pour la chambre noire. Je travaille lentement, tirant une seule épreuve à la fois, la séchant complètement avant de l'examiner à la lumière du jour (l'éclairage artificiel ne suffisant plus), attentif au message derrière l'image. Lorsque je crois mieux le comprendre je tire une nouvelle épreuve, consignant par écrit le détail des opérations.

Une fois le résultat satisfaisant, je produis plusieurs exemplaires illustrant l'état d'avancement, puis classe épreuves et notes. Je me garde de considérer ces épreuves comme finales : il me sera loisible, dans un futur proche ou lointain, de tenter de les parfaire.

Un cliché peut être reconsidéré sous un angle différent, et une interprétation nouvelle en résulter. Plus qu'une simple matière première à modeler, c'est un compagnon avec qui voyager.

Lundi 2007-02-26 :

Enfin, c'est en ligne. Un tout nouveau site ... de mes photographies, me permets-je d'humblement ajouter.

L'objectif est double : permettre le visionnement de certaines de mes photographies, et entrer en contact avec d'autres que la photographie intéresse. Je tenterai d'y arriver en faisant en sorte que le contenu des portfolios thématiques reflète l'avancement des projets en cours, et en ajoutant périodiquement à ce journal (j'espère naturellement recevoir de nombreux commentaires des visiteurs). Le programme est ambitieux, mais l'entreprise m'enthousiasme.

La structure et la facture sont simples, facilitant ainsi l'entretien des pages, et permettant de consacrer plus d'énergie au renouveau et à l'expansion des contenus photographiques et textuels.

La réalisation s'est étalée sur deux ans, soit beaucoup plus longtemps que prévu à l'origine. Cette période a cependant permis une réflexion fructueuse sur mes intérêts et démarche photographiques (sans mentionner d'autres effets secondaires plus prosaïques, quoique tout aussi bénéfiques, tels un inventaire complet des archives et une mise en ordre de tous les négatifs, tirages, fichiers numériques, et écrits depuis trop longtemps en attente de classement et rangement).

Je suis dans l'ensemble satisfait du premier jet, optimiste quant à son évolution, et impatient de connaître l'accueil qu'on lui réserve.

Comme pour toute autre chose dans la vie, on verra bien!

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